Ah, mes chers lecteurs! Versailles… Ce nom seul évoque des images de grandeur, de fêtes somptueuses, de jardins à la française où le soleil semble danser éternellement. Mais derrière ce faste, derrière les miroirs étincelants et les sourires calculés, se cachent des secrets. Des secrets que le parfum capiteux des fleurs ne parvient pas à masquer, des murmures que le ruissellement des fontaines ne peut étouffer. Car, je vous le dis avec une gravité que la plume peine à traduire, l’ombre du poison plane sur le palais, et c’est dans les bas-fonds de cette cour dorée que nous allons plonger aujourd’hui.
Imaginez, mes amis, la fin de l’été 1676. L’air est encore doux, mais une inquiétude sourde commence à se faire sentir. Des rumeurs, d’abord étouffées, puis de plus en plus insistantes, parlent de morts suspectes, de maladies foudroyantes qui emportent des courtisans en pleine santé. On chuchote des mots terribles : « arsenic », « succession », « vengeance ». Et au cœur de ce tumulte grandissant, un homme, un lieutenant de police du nom de Gabriel Nicolas de la Reynie, est chargé d’enquêter. Un homme intègre, tenace, et dont le flair, je vous l’assure, est aussi aiguisé qu’une lame de rasoir. C’est avec lui que nous allons descendre dans les entrailles de Versailles, là où la vérité, empoisonnée, attend d’être révélée.
La Chambre des Murmures
La Reynie, homme de méthode, commence par interroger les domestiques. Ces petites mains qui voient tout, entendent tout, et dont la discrétion est souvent achetée au prix fort. Il les convoque dans une petite pièce discrète, à l’écart des regards indiscrets. Une pièce que l’on surnomme déjà, à voix basse, « la chambre des murmures ». L’atmosphère y est lourde, chargée de la peur et de la suspicion.
« Parlez, mes amis, parlez ! » encourage La Reynie, sa voix douce mais ferme. « Je ne suis pas ici pour vous accuser, mais pour comprendre. Des vies ont été perdues, et il est de mon devoir de faire la lumière sur ces tragédies. »
D’abord, c’est le silence. Des regards fuyants, des mains qui se tordent nerveusement. Puis, peu à peu, les langues se délient. On parle d’un apothicaire étrange, aux remèdes douteux. On évoque une dame de compagnie, au visage angélique mais au regard glacial. On murmure le nom d’un valet de chambre, dont la fidélité semble bien trop intéressée.
« Mademoiselle de Fontanges, » glisse une jeune servante, les yeux remplis de terreur. « Elle… elle semblait souffrir d’étranges maux avant de mourir. On disait qu’elle avait été empoisonnée. »
La Reynie prend des notes, son visage impassible. Mademoiselle de Fontanges… Une favorite du roi, d’une beauté éblouissante. Sa mort, soudaine et inattendue, avait secoué la cour. Mais personne n’avait osé parler de poison. La simple évocation de ce mot suffisait à semer la panique et à remettre en question la toute-puissance du roi.
« Et qui aurait intérêt à la mort de Mademoiselle de Fontanges ? » interroge La Reynie, fixant la servante de son regard perçant.
La jeune femme hésite, puis murmure : « On dit que Madame de Montespan… n’appréciait guère sa présence auprès du roi. »
Madame de Montespan ! La favorite en titre, la mère des enfants illégitimes du roi. Une femme d’une intelligence redoutable et d’une ambition sans limites. L’ombre du soupçon commence à se préciser.
Les Secrets de l’Apothicaire
Guidé par les murmures entendus dans la chambre des confessions, La Reynie décide de rendre visite à l’apothicaire. Un certain Glauber, un homme d’origine allemande, installé à Versailles depuis quelques années. Sa boutique, sombre et malodorante, est un véritable cabinet de curiosités. Des bocaux remplis de liquides étranges, des herbes séchées suspendues au plafond, des instruments d’alchimie rouillés… L’endroit est à la fois fascinant et inquiétant.
« Monsieur Glauber, » commence La Reynie, son ton courtois mais ferme. « Je suis le lieutenant de police. Je suis ici pour vous poser quelques questions concernant les remèdes que vous préparez. »
L’apothicaire, un homme maigre et au visage pâle, semble mal à l’aise. Il se frotte les mains nerveusement et évite le regard de La Reynie.
« Mes remèdes, monsieur le lieutenant, sont tous préparés selon les règles de l’art, » répond-il d’une voix tremblante. « Je ne fais que soulager les maux de mes patients. »
La Reynie observe les étagères, son regard s’arrêtant sur un petit flacon étiqueté « Aqua Toffana ». Un poison célèbre, réputé pour sa discrétion et son efficacité.
« Et qu’est-ce que ceci, monsieur Glauber ? » demande La Reynie, pointant le flacon du doigt.
L’apothicaire blêmit. « C’est… c’est un remède pour les maux d’estomac, monsieur le lieutenant. »
« Un remède qui tue rapidement et sans laisser de traces ? » rétorque La Reynie, son ton devenant plus dur. « Je ne suis pas dupe, monsieur Glauber. Je sais que vous vendez des poisons. Dites-moi qui vous les achète, et je vous promets ma clémence. »
L’apothicaire hésite, puis, sous la pression de La Reynie, finit par avouer. Il révèle qu’il vend régulièrement des poisons à une certaine Catherine Deshayes, plus connue sous le nom de La Voisin. Une diseuse de bonne aventure, une faiseuse de miracles, et, semble-t-il, une empoisonneuse à la solde des plus riches et des plus puissants.
La Voisin et les Messes Noires
La Voisin ! Son nom, chuchoté avec crainte et fascination, circulait dans tout Paris. On disait qu’elle était capable de prédire l’avenir, de guérir les maladies, et même de provoquer la mort par simple invocation. Elle officiait dans une maison située à Voisin, près de Paris, où elle organisait des séances de spiritisme et des messes noires qui attiraient une clientèle fortunée et désespérée.
La Reynie comprend alors l’ampleur de l’affaire. Il ne s’agit plus seulement de quelques morts suspectes à Versailles, mais d’un réseau criminel tentaculaire qui s’étend jusqu’au cœur du pouvoir. Il décide de mettre La Voisin sous surveillance, espérant découvrir ses commanditaires et démasquer les coupables.
Les agents de La Reynie infiltrent la maison de La Voisin, se faisant passer pour des clients désireux d’obtenir ses services. Ils assistent à des scènes étranges et terrifiantes. Des messes noires où l’on sacrifie des enfants, des incantations diaboliques, des philtres d’amour et de mort… L’atmosphère est lourde de péché et de perversion.
Un soir, un agent rapporte une information capitale. Il a entendu La Voisin parler d’une commande spéciale, d’un poison destiné à une personne très importante. Le nom de Madame de Montespan est murmuré à voix basse. La Reynie a enfin la preuve qu’il cherchait.
« Il est temps d’agir, » déclare La Reynie à ses hommes. « Nous devons arrêter La Voisin et ses complices avant qu’il ne soit trop tard. »
L’Arrestation et les Aveux
L’arrestation de La Voisin est un véritable coup de théâtre. Les agents de La Reynie investissent sa maison en pleine nuit, surprenant la sorcière en pleine séance de spiritisme. La Voisin, entourée de ses acolytes, tente de résister, mais elle est rapidement maîtrisée.
Conduite à la prison de la Bastille, La Voisin est soumise à un interrogatoire serré. Au début, elle nie tout en bloc, affirmant qu’elle n’est qu’une simple diseuse de bonne aventure. Mais La Reynie a des preuves irréfutables. Il lui présente les témoignages de l’apothicaire Glauber, ainsi que les rapports de ses agents infiltrés.
Finalement, acculée, La Voisin craque et avoue tout. Elle révèle qu’elle a vendu des poisons à de nombreuses personnes de la cour, y compris à Madame de Montespan. Elle raconte comment la favorite du roi, rongée par la jalousie et la peur de perdre son influence, lui a demandé de se débarrasser de ses rivales.
Les aveux de La Voisin sont explosifs. Ils mettent en cause les plus hautes personnalités du royaume et risquent de déstabiliser le pouvoir royal. La Reynie est confronté à un dilemme. Doit-il révéler toute la vérité, au risque de provoquer un scandale sans précédent, ou doit-il étouffer l’affaire, pour préserver la stabilité du royaume ?
La décision est difficile, mais La Reynie, homme intègre et dévoué à son roi, choisit la voie de la prudence. Il transmet les aveux de La Voisin à Louis XIV, en lui conseillant de ne pas les rendre publics. Le roi, conscient des risques, accepte à contrecœur. L’affaire des poisons sera étouffée, mais elle laissera des traces indélébiles dans l’histoire de Versailles.
Ainsi se termine, mes chers lecteurs, le premier acte de cette tragédie empoisonnée. La Reynie, grâce à son courage et à sa perspicacité, a mis au jour un complot diabolique et a sauvé des vies. Mais l’ombre du poison continue de planer sur Versailles, et d’autres secrets, plus sombres encore, attendent d’être révélés. Restez à l’écoute, car l’enquête ne fait que commencer…