Paris s’endormait, mais pas pour tous. Sous le voile d’encre qui recouvrait la capitale, une autre ville se réveillait, une ville d’ombres et de secrets, peuplée de coupe-jarrets, de courtisanes voilées, et de mystères impénétrables. La Seine, tel un serpent d’argent, reflétait les rares lumières vacillantes, les lanternes du Guet Royal, ces veilleurs nocturnes dont la mission, souvent vaine, était de maintenir un semblant d’ordre dans ce chaos nocturne. Or, depuis quelques semaines, une ombre plus sinistre encore planait sur la ville : des meurtres. Des assassinats brutaux, inexplicables, et surtout… impunis. Des crimes qui semblaient défier le Guet lui-même, le narguant du fond des ruelles obscures.
Le pavé, froid et humide, résonnait sous les pas précipités du Sergent-Major Antoine Dubois, un vétéran de la Garde Royale, dont la moustache broussailleuse cachait mal l’inquiétude qui le rongeait. Chaque nouveau cadavre, chaque énigme irrésolue, était une gifle à son honneur, une tache indélébile sur sa réputation. Ce soir, l’appel était venu de la rue Saint-Honoré, non loin du Palais Royal, un quartier pourtant réputé pour sa richesse et sa tranquillité. L’ironie était cruelle.
La Rue Saint-Honoré et le Spectre de la Mort
La scène était sordide. Le corps, celui d’un riche marchand de soieries nommé Monsieur Lefèvre, gisait dans une mare de sang, la gorge tranchée avec une précision chirurgicale. Autour de lui, le luxe habituel de la rue semblait presque obscène, un contraste macabre qui accentuait l’horreur du spectacle. Dubois s’agenouilla, inspectant les lieux avec l’œil exercé d’un vieux soldat. Pas de signes de lutte, pas d’effraction. La victime connaissait-elle son agresseur ? L’avait-elle laissée entrer ?
“Rien, Sergent-Major,” rapporta un jeune garde, le visage pâle. “Les voisins n’ont rien entendu. La rue était déserte. On dirait un fantôme qui a frappé.”
Dubois grogna. “Des fantômes ? Laissez les fantômes aux poètes, Dupont. Nous avons affaire à un assassin, un homme de chair et d’os, et il faudra bien le démasquer.” Il remarqua une petite boîte en argent, finement ciselée, à quelques pas du corps. Il l’ouvrit. Elle était vide. “Une boîte à tabatière… Peut-être un indice. Ramassez-la avec précaution.”
Alors qu’il se relevait, son regard fut attiré par une ombre furtive, se faufilant entre les immeubles. “Hé là ! Qui va là ?” cria-t-il, mais la silhouette avait déjà disparu dans le labyrinthe des ruelles adjacentes. Dubois jura. Il sentait que cette nuit, la mort lui avait effleuré le visage, le narguant une fois de plus.
Les Bas-Fonds et les Secrets des Ombres
Frustré par le manque de preuves, Dubois décida de s’aventurer dans les bas-fonds de la ville, là où la justice du Roi avait moins de prise, là où les secrets se murmuraient à voix basse dans les tripots et les bouges enfumés. Il connaissait les lieux, les visages, les codes. Il savait que c’était là, dans cette pépinière de vices et de misère, qu’il trouverait peut-être une piste, une rumeur, une bribe d’information.
Il se rendit au “Chat Noir”, un cabaret sordide situé dans le quartier des Halles. La fumée âcre du tabac et l’odeur de l’alcool bon marché lui piquèrent les yeux. Des prostituées dépenaillées et des joueurs d’argent aux mines patibulaires le dévisagèrent avec méfiance. Il s’approcha du comptoir, où un homme à la figure balafrée, connu sous le nom de “Le Borgne”, nettoyait des verres avec un chiffon douteux.
“Le Borgne,” dit Dubois, sa voix grave résonnant dans le brouhaha. “J’ai besoin d’informations. Un homme a été assassiné rue Saint-Honoré. Un marchand de soieries. Lefèvre.”
Le Borgne haussa un sourcil. “Les affaires de la haute société ne sont pas mon rayon, Sergent-Major.”
Dubois posa une pièce d’or sur le comptoir. “Peut-être que ça le deviendra. J’ai entendu dire que tu avais des oreilles partout.”
Le Borgne ramassa la pièce avec une rapidité surprenante. “J’ai entendu des choses… Des rumeurs… On parle d’un homme qui tue pour le plaisir, un dandy cruel qui se joue de la police. On l’appelle ‘Le Faucon’.”
“Le Faucon ?” Dubois fronça les sourcils. “Je n’ai jamais entendu ce nom.”
“C’est un nom d’ombre, Sergent-Major. Un nom qui ne se prononce qu’à voix basse, dans les coins les plus sombres de la ville. On dit qu’il est riche, puissant, intouchable.”
Le Palais Royal et les Intrigues de la Cour
Les paroles du Borgne résonnèrent dans l’esprit de Dubois. Un dandy cruel, riche et intouchable… Cela ne pouvait signifier qu’une chose : l’assassin se cachait parmi les nobles de la cour. L’idée était effrayante. Enquêter sur la noblesse, c’était jouer avec le feu, risquer de se brûler les ailes. Mais Dubois n’avait pas le choix. L’honneur du Guet Royal était en jeu.
Il se rendit au Palais Royal, où il demanda à être reçu par le Comte de Valois, un influent conseiller du Roi, connu pour son intelligence et sa discrétion. Le Comte accepta de le recevoir dans son cabinet privé, une pièce somptueusement décorée, éclairée par des chandeliers en argent.
“Sergent-Major Dubois,” dit le Comte, son regard perçant analysant le policier. “Je suis au courant des meurtres qui affligent la ville. Le Roi est préoccupé. Comment puis-je vous aider ?”
Dubois expliqua ce qu’il savait, parlant du Faucon et de ses soupçons concernant la noblesse. Le Comte écouta attentivement, sans l’interrompre.
“Vos soupçons sont graves, Sergent-Major,” dit-il enfin. “Mais je dois vous avertir. Enquêter sur la noblesse est une entreprise délicate. Vous devrez faire preuve de prudence et de discrétion. Le moindre faux pas pourrait avoir des conséquences désastreuses.”
Dubois acquiesça. “Je suis conscient des risques, Monsieur le Comte. Mais je ne peux pas rester les bras croisés alors que un assassin se joue de nous.”
Le Comte soupira. “Très bien. Je vais vous donner accès aux archives du Palais. Vous y trouverez peut-être des informations utiles. Mais rappelez-vous, Sergent-Major : la vérité a parfois un prix très élevé.”
La Vérité Éclate dans les Catacombes
Les archives du Palais se révélèrent être une mine d’informations. Dubois passa des jours entiers à éplucher des documents poussiéreux, des lettres compromettantes, des registres de dépenses. Il finit par tomber sur un nom qui attira son attention : le Marquis de Saint-Luc, un jeune noble arrogant et débauché, connu pour ses dettes de jeu et ses liaisons scandaleuses. Il avait également une réputation de duelliste impitoyable, un homme capable de tuer de sang-froid.
Dubois découvrit également que le Marquis était un collectionneur passionné de tabatières anciennes. Et, plus troublant encore, il avait contracté une dette importante auprès de Monsieur Lefèvre, le marchand de soieries assassiné.
Dubois sentit le puzzle se mettre en place. Le Marquis de Saint-Luc était le Faucon. Il avait tué Lefèvre pour effacer sa dette, et il continuait à tuer pour le plaisir, pour prouver son pouvoir et son impunité.
Dubois savait qu’il devait agir vite. Mais il savait aussi que le Marquis était protégé par son rang et ses relations. Il lui fallait une preuve irréfutable, un témoin, quelque chose qui puisse le confondre sans l’ombre d’un doute.
Il se souvint d’une rumeur, une rumeur persistante qui circulait dans les bas-fonds : on disait que le Marquis avait l’habitude de se rendre dans les catacombes de Paris, où il organisait des soirées macabres avec ses amis. Dubois décida de tenter sa chance.
Il s’aventura dans les catacombes, un labyrinthe d’ossements et de ténèbres. L’air était froid et humide, imprégné d’une odeur de mort. Il progressa prudemment, guidé par le faible faisceau de sa lanterne. Soudain, il entendit des voix, des rires étouffés, des bruits de verres qui s’entrechoquaient.
Il s’approcha, et ce qu’il vit le glaça le sang. Une dizaine de nobles, dont le Marquis de Saint-Luc, étaient assis autour d’une table, buvant et jouant aux cartes. Au centre de la table, il y avait un crâne humain. Et sur le crâne, une tabatière en argent, finement ciselée, la même que celle qu’il avait trouvée sur le lieu du crime rue Saint-Honoré.
Dubois sortit de l’ombre, son pistolet à la main. “Au nom du Roi !” cria-t-il. “Vous êtes tous en état d’arrestation !”
Le Marquis se leva, un sourire narquois sur le visage. “Sergent-Major Dubois… Quelle surprise. Je ne m’attendais pas à vous voir ici.”
“Assez de comédie, Marquis,” dit Dubois. “Je sais que vous êtes le Faucon. Je sais que vous avez tué Lefèvre.”
Le Marquis éclata de rire. “Vous n’avez aucune preuve.”
“J’ai cette tabatière,” dit Dubois, montrant l’objet. “Elle a été trouvée sur le lieu du crime. Et elle vous appartient.”
Le Marquis hésita. Il comprit que la partie était perdue. Il sortit son épée, prêt à se battre. Mais Dubois était plus rapide. Il tira. Le Marquis s’écroula, mort sur le coup.
Les autres nobles, terrifiés, se rendirent sans résistance. Le mystère des meurtres impunis était enfin résolu. Le Faucon était mort. La justice, bien que tardive, avait triomphé.
Paris se réveilla sous un ciel gris, ignorant les drames qui s’étaient joués dans l’ombre. Le Guet Royal, sous la direction du Sergent-Major Dubois, avait rétabli l’ordre, au prix d’un sacrifice. Mais Dubois savait que les ténèbres ne disparaîtraient jamais complètement. Elles se tapiraient toujours dans les ruelles obscures, prêtes à ressurgir au moment le moins attendu. Et le Guet Royal, toujours vigilant, serait là pour les affronter.