Paris, 1667. Une nuit d’encre, lourde du parfum âcre de la Seine et du fumet gras des chandelles mal éteintes, enveloppait la capitale d’un voile de mystère et de suspicion. Sous le règne fastueux du Roi Soleil, derrière le faste et la musique, grouillait un monde d’ombres, un cloaque de complots et de passions inavouables. Des murmures de conjurations, des chuchotements empoisonnés, des messes noires célébrées en catimini… tout cela remontait à la surface, menaçant la stabilité du royaume comme la crue hivernale menace les quais de la ville.
C’est dans ce Paris interlope, ce labyrinthe de ruelles sombres et de demeures cossues, que Nicolas de la Reynie, Lieutenant Général de Police, exerçait son autorité. Un homme austère, au regard perçant, à l’esprit acéré comme une lame de rasoir. Pourfendeur d’intrigues, démasqueur d’imposteurs, il était l’œil vigilant du pouvoir, le rempart contre les forces obscures qui menaçaient de submerger la France. Sa mission : plonger dans les entrailles de la ville, dans ces “enquêtes souterraines” où se tramaient les plus mortels des complots, et en extirper la vérité, aussi putride soit-elle.
Le Vent de la Calomnie
L’affaire débuta par une lettre anonyme, déposée un matin sur le bureau de La Reynie. Une missive rédigée d’une écriture tremblante, maculée d’encre, accusant nommément la Marquise de Brinvilliers, une femme de la haute société, d’empoisonnement. Une accusation grave, lourde de conséquences, qui nécessitait une investigation discrète, mais impitoyable. La Reynie, habitué aux dénonciations calomnieuses et aux règlements de compte déguisés, ne se laissa pas impressionner. Pourtant, un détail l’interpella : la précision des informations contenues dans la lettre. L’auteur semblait connaître intimement les habitudes et les fréquentations de la Marquise.
Il confia l’enquête à Gabriel Nicolas, l’un de ses plus fidèles lieutenants, un homme taciturne et perspicace, doté d’un flair infaillible pour déceler le mensonge. Nicolas commença par interroger les domestiques de la Marquise, des gens effrayés, réticents à parler. La peur régnait dans cette demeure somptueuse, une peur palpable, presque tangible. Finalement, une jeune servante, les yeux rougis par les pleurs, accepta de se confier. Elle raconta des histoires étranges : des poudres mystérieuses, des visites nocturnes de personnages louches, des conversations murmurées à voix basse dans le boudoir de la Marquise. Des éléments qui, mis bout à bout, dessinaient un tableau inquiétant.
« Monsieur Nicolas, je vous en conjure, protégez-moi ! », supplia la servante, « Madame la Marquise est capable de tout. Elle a déjà fait disparaître plusieurs personnes qui l’ont contrariée. »
Nicolas, impassible, lui promit sa protection. Il savait que le danger était réel. La Marquise de Brinvilliers était une femme puissante, influente, entourée d’un cercle d’amis tout aussi dangereux. L’affronter, c’était s’attaquer à une hydre dont les têtes repoussaient sans cesse.
Les Secrets de l’Arsenal
L’enquête mena Nicolas à l’Arsenal, le quartier général de la police parisienne, un lieu sombre et austère où étaient entreposés les archives, les preuves, et les instruments de torture. C’est là, dans une salle isolée, éclairée par la lueur tremblante d’une chandelle, que La Reynie l’attendait. Le Lieutenant Général avait convoqué un chimiste, un certain Christophe Glaser, un homme étrange, fasciné par les poisons et les alambics. Glaser avait analysé des échantillons prélevés dans la demeure de la Marquise. Ses conclusions étaient sans appel : de l’arsenic, de l’antimoine, et d’autres substances toxiques avaient été retrouvés en quantité significative.
« Monsieur de la Reynie, », déclara Glaser d’une voix monocorde, « ces poisons sont mortels. Ils peuvent tuer sans laisser de traces visibles. La Marquise de Brinvilliers possède un véritable arsenal de mort. »
La Reynie hocha la tête. Les soupçons se confirmaient. Il fallait agir vite, avant que la Marquise ne fasse d’autres victimes. Mais comment l’arrêter ? Elle était protégée par son rang, par sa fortune, par ses relations. Il fallait trouver une preuve irréfutable, un témoignage accablant, quelque chose qui puisse briser le mur de silence qui l’entourait.
« Nicolas, », ordonna La Reynie, « je veux que vous trouviez cette preuve. Fouillez chaque recoin de sa vie, interrogez tous ses proches, suivez-la comme son ombre. Je veux la vérité, toute la vérité, aussi amère soit-elle. »
Le Jeu des Apparences
Nicolas reprit son enquête, redoublant de vigilance, épiant les moindres faits et gestes de la Marquise. Il la suivait dans les salons mondains, dans les églises, dans les boutiques de luxe. Il l’observait manipuler les courtisans avec une habileté diabolique, séduire les hommes avec un sourire enjôleur, dissimuler sa véritable nature sous un masque d’innocence. La Marquise était une actrice consommée, une virtuose du mensonge.
Un soir, Nicolas la vit entrer dans une pharmacie obscure, située dans un quartier mal famé. Il attendit patiemment, dissimulé dans l’ombre, jusqu’à ce qu’elle ressorte. Il la suivit ensuite jusqu’à une maison close, un lieu de débauche et de perdition. Il la vit entrer, puis ressortir quelques heures plus tard, visiblement agitée. Nicolas comprit qu’il se passait quelque chose d’important. Il décida de perquisitionner la pharmacie.
Le pharmacien, un vieil homme au regard fuyant, nia d’abord avoir vu la Marquise. Mais Nicolas, en fouillant les registres, découvrit une commande récente de plusieurs poisons puissants. Confronté à cette preuve irréfutable, le pharmacien finit par avouer. Il révéla que la Marquise se procurait régulièrement des poisons chez lui, et qu’elle lui avait même confié ses projets criminels. Elle voulait empoisonner son mari, son père, et plusieurs de ses ennemis.
« Elle m’a dit, », balbutia le pharmacien, « que la mort était la seule solution à ses problèmes. Elle m’a dit que le poison était une arme discrète, efficace, et indétectable. »
La Chute de l’Ange Noir
Fort de ces nouvelles preuves, Nicolas arrêta la Marquise de Brinvilliers. Elle fut incarcérée à la Bastille, la prison d’État, un lieu sinistre et redouté. Lors de son procès, elle nia d’abord les accusations portées contre elle. Mais confrontée aux témoignages accablants, aux preuves irréfutables, elle finit par craquer. Elle avoua ses crimes, ses complots, ses trahisons. Elle révéla qu’elle avait empoisonné son mari, son père, et plusieurs autres personnes, par vengeance, par cupidité, et par pur plaisir.
La Marquise de Brinvilliers fut condamnée à mort. Elle fut décapitée en place de Grève, devant une foule immense, avide de spectacle. Sa mort marqua la fin d’une époque, la fin d’un règne de terreur. Mais elle laissa derrière elle un sillage de méfiance, de suspicion, et de peur. L’affaire des poisons révéla la face sombre de la cour de Louis XIV, un monde de corruption, de débauche, et de crimes impunis.
La Reynie, quant à lui, continua son travail, inlassablement, avec la même rigueur, la même intégrité. Il savait que le mal était toujours présent, tapi dans l’ombre, prêt à resurgir à la moindre occasion. Il savait que sa mission n’était jamais terminée. Il était le gardien de l’ordre, le protecteur de la justice, le rempart contre les forces obscures qui menaçaient de submerger la France. Et tant qu’il serait là, veillant sur Paris, les complots mortels seraient percés à jour, les criminels seraient punis, et la vérité triompherait.