Le crépuscule embrasait le ciel de Versailles d’une lueur rougeoyante, un spectacle grandiose et trompeur. Car sous cette splendeur apparente, la cour du Roi Soleil bruissait de murmures, de complots, et de secrets inavouables. Ce soir-là, le vent semblait chuchoter des avertissements, tandis que l’ombre de Nicolas de La Reynie, Lieutenant Général de Police, s’étendait invisible, mais palpable, sur le faste et la corruption qui gangrenaient le royaume. On disait de La Reynie qu’il avait des yeux partout, des oreilles dans les murs, et une main de fer gantée de velours. Et ce soir, cette main allait frapper.
L’air était saturé du parfum capiteux des roses et de la poudre à perruque, un mélange enivrant qui masquait mal l’odeur de soufre qui imprégnait les âmes corrompues. Dans les salons dorés, les courtisans, parés de leurs plus beaux atours, s’adonnaient aux jeux de hasard et aux intrigues amoureuses, ignorant superbement le danger qui se tramait. Pourtant, au-delà des rires forcés et des compliments hypocrites, une tension palpable vibrait, une attente nerveuse que même le plus insouciant des courtisans ne pouvait ignorer. La Reynie était à Versailles, et cela, seul, suffisait à semer la panique.
Le Bal des Apparences
La Grande Galerie des Glaces scintillait sous la lumière tremblotante des milliers de bougies. La musique d’un orchestre invisible emplissait l’espace, incitant les couples à valser avec une grâce affectée. Parmi eux, la Marquise de Brinvilliers, femme d’une beauté froide et calculatrice, attirait tous les regards. Sa robe de soie noire, ornée de diamants étincelants, contrastait étrangement avec son teint pâle. Elle riait, elle plaisantait, elle séduisait, mais ses yeux, d’un bleu glacial, trahissaient une inquiétude profonde. Elle savait, elle sentait, que le filet de La Reynie se resserrait autour d’elle.
Non loin de là, dissimulé dans l’ombre d’une colonne, un homme observait la scène avec une attention soutenue. C’était Gabriel Nicolas de la Mare, l’un des plus fidèles et des plus efficaces agents de La Reynie. Son visage, marqué par les épreuves et les nuits blanches, était impassible, mais son regard perçant ne laissait rien échapper. Il avait pour mission de surveiller la Marquise, de déceler le moindre faux pas, le moindre signe qui confirmerait les soupçons qui pesaient sur elle. On la disait impliquée dans une série d’empoisonnements mystérieux, et La Reynie était déterminé à faire éclater la vérité, quel qu’en soit le prix.
“Monsieur de la Mare,” une voix grave le fit sursauter. La Reynie en personne se tenait à ses côtés, son visage impassible éclairé par la faible lumière. “Avez-vous quelque chose à me rapporter?”
“Rien de concret, Monsieur le Lieutenant Général,” répondit la Mare, en s’inclinant légèrement. “La Marquise semble à son aise, mais je perçois une tension sous son apparente sérénité. Elle a échangé quelques mots avec le Chevalier de Guet, un homme connu pour ses liens avec des cercles peu recommandables.”
La Reynie hocha la tête, son regard fixé sur la Marquise. “Le Chevalier de Guet… Intéressant. Redoublez de vigilance, la Mare. Je crois que le moment approche.”
Les Secrets du Cabinet Noir
Pendant que le bal battait son plein, une autre scène se déroulait dans l’obscurité du Cabinet Noir, une salle secrète où La Reynie et ses hommes interceptaient et déchiffraient les correspondances suspectes. L’atmosphère y était lourde, saturée de l’odeur de l’encre et du papier. Des piles de lettres, soigneusement classées et annotées, jonchaient les tables. Des agents, les visages pâles et les yeux cernés, s’affairaient à déchiffrer des messages codés, à démasquer des complots et à identifier les coupables.
Parmi eux, un jeune homme du nom de Jean-Baptiste Rose, un prodige du déchiffrage, travaillait sans relâche sur une lettre particulièrement cryptique. Son front était plissé sous l’effort, ses doigts agiles courant sur le parchemin. Après des heures d’efforts acharnés, il finit par déchiffrer le message. Son visage s’illumina d’une lueur triomphante.
“Monsieur le Lieutenant Général!” s’écria-t-il, en se précipitant vers La Reynie. “J’ai déchiffré la lettre! Elle confirme les soupçons que nous avions sur la Marquise de Brinvilliers. Elle y décrit en détail la préparation et l’administration de poisons à plusieurs de ses proches, dont son propre père!”
La Reynie prit la lettre et la lut attentivement. Son visage se durcit. “C’est une preuve accablante,” dit-il d’une voix froide. “Il est temps d’agir.”
L’Heure de la Justice
Le bal battait toujours son plein lorsque La Reynie donna l’ordre. Des hommes en uniforme, discrets mais déterminés, se glissèrent dans la Grande Galerie des Glaces. Ils se rapprochèrent de la Marquise de Brinvilliers, la cernant sans qu’elle ne s’en aperçoive. La musique s’arrêta brusquement, créant un silence pesant. Tous les regards se tournèrent vers La Reynie, qui s’avança au centre de la salle.
“Au nom du Roi,” déclara-t-il d’une voix forte et claire, “je vous arrête, Marquise de Brinvilliers, pour crimes d’empoisonnement et de complot contre l’État.”
Un murmure d’horreur parcourut l’assistance. La Marquise pâlit, mais conserva son sang-froid. “Vous vous trompez, Monsieur de La Reynie,” dit-elle d’une voix tremblante. “Je suis innocente.”
“Je crains que les preuves ne disent le contraire,” répondit La Reynie en lui présentant la lettre déchiffrée. La Marquise jeta un coup d’œil au parchemin, puis ferma les yeux, vaincue. Ses hommes l’emmenèrent, tandis que les courtisans, terrifiés, se reculaient pour lui laisser le passage. La main de La Reynie venait de frapper, et la justice, enfin, avait triomphé.
Les Échos de l’Affaire
L’arrestation de la Marquise de Brinvilliers fit l’effet d’une bombe à la cour de Versailles. Les langues se délièrent, les secrets furent révélés, et de nombreuses autres personnes furent impliquées dans l’affaire des poisons. La Reynie, avec sa détermination implacable, mena l’enquête à son terme, démasquant un réseau de criminels et de conspirateurs qui menaçaient la stabilité du royaume.
L’affaire des poisons marqua un tournant dans l’histoire de la police française. Elle démontra l’efficacité des méthodes de La Reynie, son sens de l’observation, sa rigueur intellectuelle et son intégrité morale. Elle confirma également sa réputation d’homme juste et incorruptible, prêt à tout pour faire respecter la loi et protéger le royaume, même au prix de sa propre vie. La main de La Reynie avait frappé, et Versailles, à jamais, s’en souviendrait.