Mes chers lecteurs, préparez-vous. Ce soir, nous plongeons dans les bas-fonds scintillants de la Cour du Roi Soleil, là où le parfum capiteux de la rose et du jasmin se mêle à l’odeur âcre de l’arsenic. Nous allons explorer les vies brisées, les rêves étouffés, les âmes damnées par l’Affaire des Poisons, ce scandale qui a secoué le règne de Louis XIV jusqu’à ses fondations mêmes. Oubliez les bals fastueux et les robes brodées d’or ; ce soir, nous contemplerons les spectres qui hantent les couloirs de Versailles, victimes silencieuses d’une machination infernale. Car derrière le faste et la gloire, se cachait une vérité sombre et terrifiante : la mort, insidieuse et invisible, rôdait, distillée goutte à goutte dans les coupes dorées et les flacons parfumés.
L’affaire a éclaté comme un coup de tonnerre, révélant un réseau complexe de devins, d’empoisonneurs et de courtisans corrompus, tous liés par un fil invisible de secrets et de trahisons. Mais au-delà des noms célèbres – la Voisin, la Vigouroux, Madame de Montespan elle-même – se trouvent les victimes, les oubliés de l’histoire, dont les destins tragiques méritent d’être enfin contés. Ce sont ces âmes que nous allons ressusciter, le temps d’un récit, pour que leur souffrance ne soit pas vaine et que leur mémoire ne s’éteigne jamais.
La Douceur Fanée de Marie-Angélique de Fontanges
Marie-Angélique de Scoraille de Roussille, Duchesse de Fontanges, fut une étoile filante dans le firmament versaillais. D’une beauté éblouissante, elle captiva le cœur du Roi Soleil en 1679, devenant sa favorite en un clin d’œil. Sa chevelure, d’un blond flamboyant, était légendaire, et sa grâce juvénile enchanta la Cour. Mais son ascension fulgurante fut aussi sa chute. Moins de deux ans après avoir conquis le roi, elle tomba gravement malade, terrassée par des maux mystérieux et soudains.
Les symptômes étaient troublants : violentes douleurs abdominales, vomissements incessants, et un amaigrissement rapide et inexplicable. Les médecins royaux, perplexes, tentèrent divers remèdes, mais rien n’y fit. La belle Marie-Angélique se consumait à vue d’œil, sa beauté fanant comme une fleur coupée. Certains murmurèrent qu’elle était enceinte et qu’elle avait tenté de se faire avorter, mais d’autres, plus perspicaces, soupçonnaient un mal plus sinistre.
« Madame la Duchesse, comment vous sentez-vous aujourd’hui ? » demanda son confesseur, l’abbé Bossuet, venu lui prodiguer les derniers sacrements. Marie-Angélique, alitée et affaiblie, lui répondit d’une voix à peine audible : « Mon Père, je souffre atrocement. J’ai l’impression qu’un feu dévore mes entrailles. Je me demande si… si quelqu’un ne m’a pas voulu du mal. »
Elle décéda quelques jours plus tard, à l’âge de seulement vingt ans. Bien que la cause officielle de sa mort fût une “fièvre puerpérale” suite à une fausse couche, les rumeurs d’empoisonnement persistèrent. Le fait que Madame de Montespan, jalouse de sa rivale, ait été impliquée dans l’Affaire des Poisons ne fit qu’alimenter ces soupçons. Marie-Angélique de Fontanges, victime de sa beauté et de sa position, fut peut-être la première étoile à s’éteindre sous le poison subtil de la Cour.
La Mort Silencieuse du Marquis de Richelieu
Armand Jean du Plessis, Marquis de Richelieu, était un homme d’influence, neveu du célèbre Cardinal. Il occupait une place importante à la Cour et était connu pour son esprit vif et son sens de la répartie. Mais en 1674, sa santé commença à décliner de manière alarmante. Il souffrait de maux de tête chroniques, de vertiges et de troubles de la vision. Ses proches remarquèrent également un changement dans son comportement : il devenait irritable, méfiant et souffrait d’accès de paranoïa.
Le marquis consulta les meilleurs médecins de Paris, mais aucun ne parvint à poser un diagnostic précis. Les traitements prescrits restèrent sans effet, et son état ne fit qu’empirer. Il perdit l’appétit, s’affaiblit considérablement et sombra dans une profonde dépression. Sa femme, Anne Poussart de Fors, était désespérée de le voir ainsi dépérir. Elle le suppliait de se reposer, de prendre soin de lui, mais rien ne semblait pouvoir l’aider.
Un jour, alors qu’il se promenait dans les jardins de son hôtel particulier, le marquis s’effondra soudainement, pris de convulsions. On le transporta d’urgence à son domicile, où il rendit son dernier souffle quelques heures plus tard. Sa mort, inattendue et mystérieuse, suscita de nombreuses interrogations. Certains évoquèrent un accident vasculaire cérébral, mais d’autres, plus circonspects, murmurèrent le mot “poison”.
Lors de l’enquête sur l’Affaire des Poisons, le nom du Marquis de Richelieu fut mentionné à plusieurs reprises. Il apparut qu’il avait été en contact avec certains membres du réseau criminel, notamment la Voisin. Avait-il été victime d’un complot ? Avait-il été empoisonné par des ennemis jaloux de son pouvoir et de son influence ? La vérité ne fut jamais établie avec certitude, mais le doute persista, jetant une ombre sinistre sur la mémoire du Marquis de Richelieu.
Les Enfants Perdus de Madame de Montespan
Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, Marquise de Montespan, fut la maîtresse favorite de Louis XIV pendant de nombreuses années. De cette union illégitime naquirent plusieurs enfants, dont certains furent légitimés et élevés à la Cour. Mais derrière le faste et les privilèges, se cachait une réalité cruelle : la mort prématurée de plusieurs de ces enfants, morts dans des circonstances suspectes.
Louis César, Comte de Vexin, fils aîné de Louis XIV et de Madame de Montespan, mourut à l’âge de douze ans. Louise Françoise, Mademoiselle de Nantes, succomba à une maladie mystérieuse à l’âge de quinze ans. Louis Alexandre, Comte de Toulouse, fut le seul à survivre jusqu’à l’âge adulte, mais sa santé resta fragile tout au long de sa vie.
Les rumeurs d’empoisonnement planèrent autour de ces décès tragiques. On murmurait que Madame de Montespan, désespérée de conserver l’affection du roi, avait eu recours à la magie noire et aux poisons pour éliminer ses rivaux et assurer la pérennité de sa position. La Voisin, sa complice, lui aurait fourni des potions mortelles, qu’elle aurait administrées à ses propres enfants, dans un acte de folie et de désespoir.
« Maman, j’ai mal au ventre, » aurait dit la petite Louise Françoise à sa gouvernante, quelques jours avant sa mort. « Je me sens faible et fatiguée. J’ai l’impression que quelque chose me ronge de l’intérieur. » Ces paroles glaçantes, rapportées lors du procès de la Voisin, témoignent de la souffrance et de la terreur vécues par ces enfants innocents, victimes de la soif de pouvoir et de la jalousie de leur propre mère. Les enfants de Madame de Montespan, pris dans les filets de l’Affaire des Poisons, furent les symboles les plus poignants de la cruauté et de la dépravation qui régnaient à la Cour.
La Fin Tragique de Mademoiselle Desœillets
Marguerite Leféron, plus connue sous le nom de Mademoiselle Desœillets, était une actrice célèbre de la Comédie-Française. Belle, talentueuse et courtisée, elle était l’une des figures les plus brillantes du monde du spectacle parisien. Mais sa vie bascula lorsqu’elle fut impliquée dans l’Affaire des Poisons.
Mademoiselle Desœillets était une amie proche de la Voisin et lui rendait souvent visite dans sa maison de Saint-Laurent. Elle lui confiait ses peines de cœur, ses ambitions et ses secrets. La Voisin, profitant de sa vulnérabilité, l’entraîna peu à peu dans son réseau criminel. L’actrice devint une messagère, transportant des lettres et des colis pour le compte de la devineresse. Elle assista également à certaines de ses séances de magie noire, fascinée et terrifiée à la fois.
Lorsque l’Affaire des Poisons éclata, Mademoiselle Desœillets fut arrêtée et interrogée. Elle nia d’abord toute implication, mais finit par avouer sa participation au réseau criminel. Elle révéla les noms de plusieurs de ses complices, dont la Voisin, Madame de Montespan et le Chevalier de Lorraine. Ses aveux furent déterminants pour l’avancée de l’enquête.
Cependant, Mademoiselle Desœillets paya cher sa collaboration avec la justice. Elle fut condamnée à la prison à vie et enfermée dans une cellule sombre et humide. Son nom fut rayé des registres de la Comédie-Française, et elle fut oubliée de tous. L’actrice, autrefois adulée et admirée, mourut en prison quelques années plus tard, rongée par le remords et le désespoir. Sa fin tragique témoigne de la déchéance et de la solitude qui attendaient ceux qui s’aventuraient trop près des ténèbres de l’Affaire des Poisons.
Ainsi se termine notre enquête, mes chers lecteurs. Nous avons exploré les destins brisés de Marie-Angélique de Fontanges, du Marquis de Richelieu, des enfants de Madame de Montespan et de Mademoiselle Desœillets, victimes innocentes ou complices malgré elles de l’Affaire des Poisons. Leurs histoires, tragiques et poignantes, nous rappellent que derrière le faste et la gloire de la Cour du Roi Soleil se cachait une réalité sombre et impitoyable, où la mort rôdait, insidieuse et invisible, distillée goutte à goutte dans les coupes dorées et les flacons parfumés.
Que ces récits servent d’avertissement à tous ceux qui sont tentés par le pouvoir, la richesse et la gloire. Car les chemins de la corruption et de la trahison mènent inévitablement à la ruine et au désespoir. Et que la mémoire de ces victimes, oubliées de l’histoire, soit enfin honorée et respectée.