La lune, ce soir-là, était une pièce d’argent terne, à peine capable de percer le manteau de brume qui étreignait les ruelles de Paris. Un silence pesant, plus lourd que la pierre des immeubles haussmanniens encore à naître, régnait en maître. Seul le pas feutré du Guet Nocturne, ce corps de gardes chargé de maintenir l’ordre et la paix dans la capitale, troublait le calme apparent. Mais sous ce vernis de tranquillité, une autre réalité se cachait, une réalité faite de pistolets cachés sous les capes, de poignards dissimulés dans les bottes, une artillerie clandestine qui faisait du Guet Nocturne bien plus qu’une simple force de police.
Ce n’était un secret pour personne : les hommes du Guet, payés misérablement par une ville aussi prompte à la richesse qu’à l’avarice, complétaient leurs maigres revenus de manière… disons, moins orthodoxe. Et pour cela, ils avaient besoin d’armes. Des armes discrètes, efficaces, et surtout, difficiles à tracer. Car qui oserait accuser ouvertement un membre du Guet de posséder un pistolet non déclaré, un poignard à lame finement aiguisée, un instrument de mort qui n’avait rien à faire entre les mains d’un serviteur de l’ordre?
L’Ombre du Fournisseur
Le rendez-vous avait été fixé dans une taverne sordide, “Le Chat Noir Écarlate”, dont la seule lumière provenait d’une poignée de chandelles crasseuses et d’un feu mal éteint dans la cheminée. Jean-Baptiste, un membre du Guet au visage buriné et aux yeux perçants, attendait, nerveux. Il avait entendu parler d’un certain “Corbeau”, un fournisseur d’armes clandestin dont le réseau s’étendait dans tout Paris. On disait qu’il était capable de se procurer n’importe quoi, des pistolets de poche aux poignards empoisonnés, en passant par des gourdins lestés de plomb.
“Vous êtes Jean-Baptiste?” une voix rauque le tira de ses pensées. Un homme enveloppé dans un manteau sombre, le visage à moitié caché par un chapeau à larges bords, s’était assis à sa table. “On m’appelle le Corbeau. Vous avez besoin de mes services?”
“J’ai besoin d’un pistolet,” répondit Jean-Baptiste, les yeux fixés sur son interlocuteur. “Un pistolet discret, facile à dissimuler, mais efficace.”
Le Corbeau sourit, un sourire froid qui ne touchait pas ses yeux. “J’ai exactement ce qu’il vous faut. Un pistolet à silex de poche, fabriqué par un artisan horloger. Petit, léger, mais mortel à courte portée. Et pour compléter le tout, un poignard à double tranchant, forgé dans l’acier le plus fin.” Il ouvrit son manteau et laissa entrevoir les armes, brillantes dans la faible lumière.
“Combien?” demanda Jean-Baptiste, retenant son souffle.
“Cent francs. Et un service. Un petit service discret, bien sûr.”
Jean-Baptiste hésita. Cent francs, c’était une somme considérable. Et un service… Il savait que les services du Corbeau étaient rarement anodins. “Quel genre de service?”
“Un simple renseignement. Un commerçant du quartier… il a tendance à oublier ses dettes. J’aimerais savoir quand il transporte de l’argent.”
Jean-Baptiste serra les poings. Il savait que le Corbeau était un usurier impitoyable. Mais il avait besoin de ces armes. “Très bien. J’accepte.”
L’Arsenal du Guet
Le Guet Nocturne, bien que théoriquement équipé par la ville, devait souvent se débrouiller seul. Les armes fournies étaient d’une qualité médiocre, souvent rouillées et défectueuses. C’est pourquoi de nombreux gardes se tournaient vers le marché noir pour acquérir un équipement plus fiable. Dans les casernes du Guet, derrière les armoires branlantes et sous les paillasses usées, se cachait un véritable arsenal clandestin : pistolets à silex de différents calibres, poignards de toutes sortes, épées courtes et même quelques mousquetons volés dans les arsenaux royaux.
Pierre, un autre membre du Guet, était un passionné d’armes. Il passait des heures à les nettoyer, à les réparer, à les modifier. Il connaissait chaque mécanisme, chaque ressort, chaque vis. Il était capable de transformer un simple pistolet de poche en une arme redoutable, capable de tuer à plusieurs mètres de distance.
“Regardez ça,” dit-il à Jean-Baptiste, lui montrant un pistolet à silex qu’il avait entièrement démonté. “J’ai remplacé le ressort par un modèle plus puissant, et j’ai poli le canon pour améliorer la précision. Avec ça, tu peux abattre un rat à cinquante pas.”
Jean-Baptiste admira le travail de Pierre. Il savait que dans les ruelles sombres de Paris, la possession d’une arme fiable pouvait faire la différence entre la vie et la mort.
Le Prix de la Corruption
Le renseignement fourni par Jean-Baptiste au Corbeau permit à ce dernier de voler le commerçant endetté. Mais le commerçant, furieux, porta plainte à la police. Une enquête fut ouverte, et rapidement, les soupçons se portèrent sur le Guet Nocturne. Le commissaire de police, un homme intègre et incorruptible, décida de faire un exemple.
Une nuit, alors que Jean-Baptiste patrouillait dans le quartier du Marais, il fut arrêté par des agents de la police. Ils fouillèrent sa personne et découvrirent le pistolet et le poignard fournis par le Corbeau. Il fut immédiatement emprisonné, accusé de possession illégale d’armes et de complicité de vol.
Pierre, apprenant l’arrestation de son ami, fut terrifié. Il savait que si la police fouillait sa caserne, elle découvrirait son arsenal clandestin. Il décida de fuir Paris, abandonnant sa vie et ses rêves.
L’affaire fit grand bruit dans la capitale. Le Guet Nocturne fut discrédité, et le commissaire de police ordonna une inspection générale de toutes les casernes. De nombreuses armes furent confisquées, et plusieurs membres du Guet furent arrêtés.
Le Corbeau, quant à lui, disparut dans la nature, emportant avec lui le fruit de ses méfaits.
Le Dénouement Amère
Jean-Baptiste fut condamné à cinq ans de prison. Sa carrière dans le Guet Nocturne était brisée. Il avait cru pouvoir améliorer sa situation en se procurant des armes clandestines, mais il avait fini par se perdre dans la corruption et la violence.
L’artillerie clandestine du Guet Nocturne avait été démantelée, mais la corruption qui la nourrissait restait bien présente, tapie dans l’ombre, attendant son heure pour ressurgir. Car à Paris, la nuit, les pistolets et les poignards trouvaient toujours un moyen de se glisser entre les mains de ceux qui étaient censés les combattre.