Par une nuit d’encre, où la Seine frissonnait sous le regard blafard de la lune, une calèche noire filait à vive allure à travers les ruelles tortueuses du vieux Paris. À l’intérieur, quatre silhouettes sombres, les “Mousquetaires Noirs,” comme on les murmurait avec crainte et respect dans les salons feutrés et les bouges mal famés de la capitale. Ils étaient les bras armés de la Couronne, les exécuteurs silencieux des basses œuvres royales, les gardiens impitoyables des secrets d’État. Mais ce soir, l’atmosphère était différente, lourde d’une tension palpable, d’une méfiance qui rongeait les cœurs comme un acide.
Le silence était brisé seulement par le cliquetis des sabots sur les pavés et le souffle rauque des chevaux. Chacun des mousquetaires, dissimulé sous un manteau de voyage, semblait perdu dans ses propres pensées, hanté par ses propres démons. Pourtant, ils savaient tous, au fond d’eux-mêmes, que le fragile équilibre de leur fraternité clandestine était sur le point de voler en éclats, emporté par les vents perfides de la trahison et de l’ambition.
Le Serment Brisé
« Alors, messieurs, » lança d’une voix glaciale le capitaine Valmont, le chef incontesté des Mousquetaires Noirs, brisant le silence oppressant. Son regard perçant, même dans la pénombre de la calèche, sonda chacun de ses compagnons. « Avons-nous tous bien compris les instructions ? L’affaire Moreau doit être réglée avant l’aube. Sans bruit. Sans laisser de traces. »
Un murmure d’acquiescement s’éleva, mais Valmont n’était pas dupe. Il connaissait trop bien ses hommes, leurs faiblesses, leurs ambitions secrètes. Il savait que parmi eux se cachait un traître, un serpent prêt à frapper au moment le plus inattendu. Il soupçonnait particulièrement deux d’entre eux : le jeune et ambitieux Chevalier de Rohan, dont l’appétit pour la gloire et les honneurs était insatiable, et le taciturne et impénétrable Bastien, un ancien soldat dont le passé obscur recelait peut-être des secrets inavouables.
« Rohan, » reprit Valmont, sa voix plus dure. « Vous vous chargerez de la surveillance du flanc est. Bastien, vous prendrez le flanc ouest. Je serai avec Dubois à l’entrée principale. Qu’il n’y ait aucune erreur. La moindre hésitation et c’est notre tête qui tombera. »
Le Chevalier de Rohan esquissa un sourire affecté. « Soyez sans crainte, capitaine. Moreau ne nous échappera pas. Mon épée est à votre service, et à celle du Roi. »
Bastien se contenta d’un grognement, son visage dissimulé sous le large bord de son chapeau. Valmont sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il savait que ce silence était plus dangereux que toutes les paroles. Il savait que Bastien, sous ses airs de brute épaisse, était capable des pires atrocités.
L’Ombre du Doute
La mission se déroula comme prévu, du moins au début. Les Mousquetaires Noirs encerclèrent la demeure de Moreau, un riche marchand soupçonné de comploter contre la Couronne. Valmont et Dubois pénétrèrent dans la maison, tandis que Rohan et Bastien montaient la garde à l’extérieur.
À l’intérieur, la situation dégénéra rapidement. Moreau, loin d’être un simple marchand, se révéla être un adversaire redoutable, entouré de gardes du corps bien entraînés. Un combat acharné s’engagea, dans lequel Valmont et Dubois durent faire preuve de toute leur habileté et de leur courage.
Pendant ce temps, à l’extérieur, Rohan et Bastien restaient étrangement passifs. Au lieu de se porter au secours de leurs compagnons, ils semblaient attendre, observer, comme s’ils étaient les spectateurs d’une pièce de théâtre dont ils connaissaient déjà la fin.
Soudain, un coup de feu retentit. Puis un autre. Valmont, blessé à l’épaule, vit Dubois s’effondrer à ses côtés, mortellement touché. La stupeur le paralysa un instant, mais il comprit aussitôt la vérité : il avait été trahi. L’un de ses propres hommes avait retourné son arme contre lui.
Avec une rage désespérée, Valmont se jeta sur Moreau et le poignarda à mort. Puis, il se précipita hors de la maison, déterminé à démasquer le traître et à le faire payer de sa vie.
Le Prix de l’Ambition
À l’extérieur, le spectacle qui s’offrit à ses yeux le glaça d’effroi. Rohan et Bastien étaient en train de se battre, leurs épées s’entrechoquant dans un fracas métallique. Rohan, le visage déformé par la haine, criait : « Tu ne t’en tireras pas, Bastien ! Je sais que c’est toi qui as vendu Dubois ! Tu as trahi le Roi ! »
Bastien, impassible, répondait par des coups précis et mortels. « Tu mens, Rohan ! C’est toi qui as pactisé avec Moreau ! Tu voulais sa fortune et son influence ! »
Valmont comprit alors que la trahison était encore plus profonde qu’il ne l’avait imaginé. Rohan et Bastien s’étaient tous les deux laissés corrompre, chacun ayant ses propres motivations, ses propres ambitions. Ils s’étaient entre-déchirés pour s’emparer du butin et des honneurs, oubliant leur serment et leur loyauté.
« Assez ! » rugit Valmont, son épée à la main. « Vous êtes tous les deux des traîtres ! Vous avez déshonoré l’uniforme des Mousquetaires Noirs ! Vous paierez de votre forfait ! »
Le combat reprit de plus belle, un duel à mort entre trois hommes rongés par la trahison et la vengeance. Le ciel s’éclaircissait peu à peu, annonçant l’aube d’un jour nouveau, un jour qui verrait la fin des Mousquetaires Noirs.
Le Jugement de l’Aube
Le soleil se leva enfin, baignant de sa lumière crue le champ de bataille improvisé. Le bilan était terrible. Rohan, mortellement blessé, gisait à terre, son regard vitreux fixé sur le ciel. Bastien, lui aussi, était gravement atteint, mais il tenait encore debout, son épée à la main, prêt à en découdre jusqu’au dernier souffle.
Valmont, malgré ses blessures, se tenait face à lui, le visage marqué par la fatigue et le désespoir. « Pourquoi, Bastien ? » demanda-t-il d’une voix lasse. « Pourquoi as-tu trahi notre serment ? »
Bastien cracha à terre. « Le serment ? C’est un mot vide, capitaine. Il n’y a que le pouvoir et l’argent qui comptent dans ce monde. J’ai vu trop de misère, trop d’injustice. J’ai voulu prendre ma part du gâteau, voilà tout. »
Valmont hocha la tête, résigné. Il savait que Bastien avait raison, à sa manière. La corruption et l’ambition avaient gangrené le cœur même de la Couronne, et les Mousquetaires Noirs n’étaient que le reflet de cette décadence.
Sans un mot de plus, Valmont leva son épée et trancha la gorge de Bastien. Puis, il s’éloigna, laissant derrière lui les corps des traîtres et les ruines de sa propre vie. Il savait que son destin était scellé. Il serait jugé pour ses crimes, pour ses trahisons, pour avoir servi un Roi corrompu. Mais au fond de lui, il se sentait libre, enfin libéré du poids du serment et de l’ombre de la trahison.
Les Mousquetaires Noirs n’étaient plus. Leur légende, à jamais entachée par le sang et la perfidie, rejoindrait les annales secrètes de l’Histoire, un avertissement sinistre aux serviteurs trop zélés et aux ambitions démesurées. Paris, ce matin-là, ignorait encore que l’ombre royale venait de se transformer en trahison, et que le prix de cette forfaiture serait payé, un jour ou l’autre, par le peuple tout entier.