Paris, l’an de grâce 1685. La lune, blafarde et complice, drapait d’ombres insidieuses les ruelles tortueuses du quartier du Marais. Des murmures étranges, des rires étouffés, et des lueurs phosphorescentes filtraient à travers les fenêtres closes, autant de signes d’une activité nocturne que la raison réprouvait. Car, derrière les façades austères des hôtels particuliers et les devantures modestes des échoppes, se tramaient des sortilèges, des incantations murmurées à mi-voix, et des philtres aux promesses illusoires. Le Paris officiel, celui du Roi Soleil et de sa cour fastueuse, ignorait – ou feignait d’ignorer – l’existence de ce Paris souterrain, où la magie, proscrite et dangereuse, régnait en maître.
Le Guet Royal, quant à lui, ne pouvait se permettre cette ignorance. Corps de police chargé de maintenir l’ordre et la sécurité dans la capitale, il était le rempart fragile entre la civilisation et le chaos. Et depuis quelques temps, le chaos prenait une forme nouvelle, plus insidieuse, plus inquiétante. Des disparitions inexpliquées, des maladies fulgurantes, des rumeurs de pactes sataniques… Tout convergeait vers une conclusion terrible : les enchanteurs, les sorciers, les faiseurs de miracles, avaient relevé la tête, défiant l’autorité royale et semant la terreur parmi le peuple. Le Capitaine de Vaudreuil, à la tête du Guet, sentait le poids de cette responsabilité peser sur ses épaules. Il devait agir, et vite, avant que la situation ne dégénère et que Paris ne sombre dans les ténèbres.
Le Pavé Maudit : Première Escarmouche
La première alerte parvint au Guet sous la forme d’une plainte déposée par un marchand de soieries, un certain Monsieur Dubois. L’homme, pâle et tremblant, affirmait que son apprenti, un jeune homme nommé Antoine, avait été ensorcelé. Selon ses dires, Antoine, d’ordinaire docile et travailleur, était devenu taciturne et absent, parlant dans des langues inconnues et manifestant une aversion soudaine pour la lumière du jour. Le Capitaine de Vaudreuil, sceptique mais prudent, dépêcha une patrouille, commandée par le Sergent Picard, jusqu’à la boutique de Monsieur Dubois, située rue de la Ferronnerie.
Picard, un vétéran des guerres de Flandre, était un homme pragmatique et peu enclin à croire aux histoires de sorcières. Cependant, ce qu’il découvrit sur place le laissa perplexe. Antoine, prostré dans un coin sombre de l’atelier, psalmodiait des mots étranges et gesticulait de manière incohérente. Ses yeux, d’un noir profond, semblaient dépourvus de toute humanité. Picard tenta de l’approcher, mais le jeune homme, dans un accès de rage soudaine, se jeta sur lui, le griffant et le mordant avec une force surhumaine. Il fallut l’intervention de plusieurs hommes pour le maîtriser.
“C’est l’œuvre d’un mauvais sort!” s’écria Monsieur Dubois, les mains tremblantes. “Il a été ensorcelé, je vous dis!”
Picard, malgré son incrédulité, ne pouvait ignorer les faits. Antoine était visiblement possédé par une force maléfique. Il ordonna de le conduire au Châtelet, le siège du Guet, où l’on tenterait de comprendre ce qui lui était arrivé. Mais, alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la boutique, un événement étrange se produisit. Un pavé, descellé du sol, se mit à léviter, flottant dans les airs avec une lueur verdâtre. Puis, avec une vitesse fulgurante, il se dirigea vers Picard, manquant de peu de l’atteindre à la tête.
“Sortilège!” hurla un des gardes, terrifié. “C’est de la magie!”
Picard, reprenant ses esprits, ordonna à ses hommes de se mettre à couvert. Le pavé, toujours en lévitation, tournoyait dans les airs, menaçant. Puis, brusquement, il retomba au sol avec un fracas sourd, et la lueur verdâtre disparut. L’incident, bien que bref, avait semé la panique parmi les hommes du Guet. Picard, réalisant qu’ils étaient confrontés à quelque chose de bien plus sinistre qu’une simple affaire de possession, décida de faire rapport de la situation au Capitaine de Vaudreuil.
Les Ombres du Cimetière des Innocents
Le rapport du Sergent Picard ne fit qu’accentuer les inquiétudes du Capitaine de Vaudreuil. Il était clair que les enchanteurs étaient à l’œuvre, et qu’ils n’hésitaient pas à utiliser la magie pour semer le chaos et défier l’autorité royale. Vaudreuil décida de mener l’enquête en personne, accompagné de son fidèle lieutenant, le Sieur de Montaigne, un homme cultivé et érudit, versé dans les sciences occultes et les grimoires interdits.
“Nous devons comprendre leurs motivations,” expliqua Vaudreuil à Montaigne, alors qu’ils traversaient les rues sombres et désertes. “Pourquoi ces sortilèges ? Quel est leur but ultime ?”
“Je crains, Capitaine,” répondit Montaigne, “que leur but ne soit pas aussi simple qu’une simple vengeance ou un désir de pouvoir. Il se pourrait qu’ils cherchent à invoquer des forces plus anciennes, plus puissantes, des forces qui pourraient bien détruire Paris si nous ne les arrêtons pas.”
Leur enquête les mena au Cimetière des Innocents, un lieu sinistre et macabre, où les ossements de milliers de Parisiens étaient entassés dans des charniers à ciel ouvert. La rumeur courait que le cimetière était un lieu de rassemblement pour les sorciers et les nécromanciens, qui y pratiquaient des rituels impies et des invocations démoniaques.
Alors qu’ils s’enfonçaient dans les allées obscures du cimetière, ils entendirent des murmures étranges, des incantations psalmodiées à voix basse. Ils se cachèrent derrière un mausolée délabré et aperçurent un groupe d’individus encapuchonnés, rassemblés autour d’un autel improvisé. Au centre de l’autel, un crâne humain brillait d’une lueur sinistre. L’un des encapuchonnés, visiblement le chef du groupe, leva les bras vers le ciel et commença à réciter une formule en latin, sa voix résonnant dans le silence de la nuit.
“*Adveniat regnum tuum, et lux tenebrarum vincat!*”
Vaudreuil et Montaigne comprirent qu’ils étaient témoins d’un rituel d’invocation. Les enchanteurs cherchaient à ouvrir un portail vers un autre monde, à libérer des forces obscures qui pourraient bien dévaster Paris. Vaudreuil donna le signal et les hommes du Guet, dissimulés dans les ombres, se jetèrent sur les enchanteurs, leurs épées tirées.
La bataille fut brève mais violente. Les enchanteurs, pris par surprise, opposèrent une résistance farouche, utilisant des sorts et des incantations pour se défendre. Des éclairs jaillirent, des flammes s’élevèrent, et des ombres rampèrent sur le sol. Montaigne, armé de son savoir et de son courage, parvint à contrer certains des sorts les plus dangereux, protégeant ainsi les hommes du Guet. Vaudreuil, quant à lui, se concentra sur le chef des enchanteurs, un homme grand et maigre, au visage pâle et aux yeux perçants.
Le duel entre Vaudreuil et le chef des enchanteurs fut un spectacle terrifiant. L’enchanteur lança des éclairs et des boules de feu, tandis que Vaudreuil esquivait et parait les attaques avec son épée. Finalement, Vaudreuil parvint à désarmer son adversaire et à le frapper d’un coup d’épée à la poitrine. L’enchanteur s’écroula au sol, mort.
La mort du chef des enchanteurs mit fin à la bataille. Les autres encapuchonnés, voyant leur chef tomber, s’enfuirent dans les ténèbres, abandonnant l’autel et le crâne lumineux. Vaudreuil ordonna à ses hommes de les poursuivre, mais la plupart parvinrent à s’échapper. Il savait que ce n’était qu’une victoire temporaire. Les enchanteurs étaient toujours là, tapies dans l’ombre, attendant leur heure.
Le Secret de l’Hôtel de Rohan
L’interrogatoire des enchanteurs capturés révéla une information capitale : le centre névralgique de l’activité magique à Paris se trouvait à l’Hôtel de Rohan, un somptueux palais appartenant à une famille noble, les Rohan-Soubise. Selon les prisonniers, la Princesse de Soubise, une femme réputée pour sa beauté et son intelligence, était la véritable instigatrice des sortilèges et des incantations qui terrorisaient la capitale. Elle était la Grande Prêtresse d’un culte secret, dédié à des divinités obscures et à des forces maléfiques.
Vaudreuil, conscient du danger, décida de lancer un raid sur l’Hôtel de Rohan. Il savait que s’attaquer à une famille noble était un acte risqué, qui pourrait lui valoir la disgrâce royale, voire pire. Mais il était convaincu que la sécurité de Paris primait sur toute autre considération.
Le raid fut mené en pleine nuit, avec une discrétion absolue. Les hommes du Guet encerclèrent l’Hôtel de Rohan, empêchant toute fuite. Vaudreuil, Montaigne et une poignée d’hommes d’élite pénétrèrent à l’intérieur du palais, déterminés à arrêter la Princesse de Soubise et à mettre fin à ses agissements maléfiques.
L’intérieur de l’Hôtel de Rohan était un labyrinthe de couloirs sombres et de pièces luxueuses. Vaudreuil et ses hommes progressèrent avec prudence, évitant les pièges et les gardes. Finalement, ils arrivèrent à une porte massive, ornée de symboles étranges et menaçants. Vaudreuil ordonna de l’enfoncer.
Derrière la porte se trouvait une vaste salle, éclairée par des torches vacillantes. Au centre de la salle, sur un autel en marbre noir, se tenait la Princesse de Soubise, vêtue d’une robe de velours noir. Elle était entourée d’une dizaine d’enchanteurs, tous armés de poignards et de grimoires. La Princesse de Soubise fixa Vaudreuil de son regard glacial.
“Vous êtes venu sceller votre destin, Capitaine de Vaudreuil,” dit-elle d’une voix froide et méprisante. “Vous ne pouvez pas arrêter ce qui est en marche. Les forces que nous invoquons sont trop puissantes pour vous.”
“Vous vous trompez, Princesse,” répondit Vaudreuil, son épée à la main. “La justice du Roi Soleil est plus forte que tous vos sortilèges.”
La bataille finale commença. Les enchanteurs se jetèrent sur les hommes du Guet, lançant des sorts et des incantations. La Princesse de Soubise, quant à elle, se concentra sur Vaudreuil, l’attaquant avec une rage et une puissance surprenantes. Montaigne, utilisant ses connaissances en magie, parvint à contrer certains des sorts les plus dangereux, protégeant ainsi Vaudreuil et ses hommes. Mais la Princesse de Soubise était une adversaire redoutable, maîtrisant des sorts d’une puissance et d’une complexité extraordinaires.
Finalement, Vaudreuil, épuisé mais déterminé, parvint à désarmer la Princesse de Soubise et à la jeter à terre. Il plaça son épée sous sa gorge, prêt à la tuer.
“Vous ne pouvez pas me tuer, Capitaine,” dit la Princesse de Soubise, les yeux brillants d’une lueur démoniaque. “Vous ne comprenez pas ce qui se passe. Si vous me tuez, vous libérerez des forces que vous ne pourrez pas contrôler.”
Vaudreuil hésita. Il savait que la Princesse de Soubise disait la vérité. Tuer la Grande Prêtresse du culte secret pourrait avoir des conséquences désastreuses. Mais il savait aussi qu’il ne pouvait pas la laisser continuer à semer le chaos et la terreur à Paris. Il prit sa décision.
Le Jugement du Roi
Au lieu de tuer la Princesse de Soubise, Vaudreuil l’arrêta et la conduisit au Louvre, devant le Roi Soleil. Louis XIV, intrigué par cette affaire extraordinaire, accepta de recevoir le Capitaine de Vaudreuil et la Princesse de Soubise en audience privée.
Vaudreuil exposa les faits au Roi, lui racontant les sortilèges, les incantations, et les rituels impies qui se tramaient à Paris. Il expliqua comment la Princesse de Soubise était à la tête d’un culte secret, dédié à des divinités obscures et à des forces maléfiques. Louis XIV écouta attentivement, son visage impassible.
Puis, il interrogea la Princesse de Soubise, lui demandant si elle niait les accusations portées contre elle. La Princesse de Soubise, fière et altière, refusa de répondre. Elle se contenta de fixer le Roi de son regard glacial.
Louis XIV, après avoir longuement réfléchi, rendit son jugement. Il condamna la Princesse de Soubise à l’exil perpétuel, la bannissant à jamais de la cour de France. Il ordonna également la destruction de l’Hôtel de Rohan et la dispersion du culte secret. Quant au Capitaine de Vaudreuil, il le félicita pour son courage et sa loyauté, le promouvant au grade de Colonel et le nommant responsable de la sécurité de la capitale.
Ainsi, grâce à la vigilance du Guet Royal et à la sagesse du Roi Soleil, Paris fut sauvée des griffes des enchanteurs. Mais l’ombre de la magie planait toujours sur la ville, rappelant à tous que les forces obscures étaient toujours là, tapies dans l’ombre, attendant leur heure. Le Guet Royal, désormais sous le commandement du Colonel de Vaudreuil, devait rester vigilant, prêt à affronter les sortilèges et les patrouilles de l’ombre, pour protéger Paris et ses habitants.