Paris, sous le voile nocturne, une ville de splendeur et de mystères insondables. Les pavés luisant sous la clarté blafarde de la lune, les ombres s’allongeant, déformant les contours familiers des hôtels particuliers et des modestes mansardes. C’est dans ce Paris nocturne, loin des salons éclairés et des bals fastueux, que se tapissent les superstitions, les murmures d’anciens cultes et les craintes ancestrales. Ce soir, une rumeur court, plus persistante que le vent froid qui s’engouffre dans les ruelles : le Guet Royal, gardien de l’ordre et de la moralité, est sur les traces d’une assemblée clandestine, un sabbat, dit-on, où se mêlent sorcellerie et blasphèmes.
Le parfum des croissants chauds, vendu à la sauvette par une marchande ambulante, se mêle à l’odeur âcre des égouts et à une angoisse palpable. Même les chats errants, d’ordinaire si hardis, semblent se cacher plus profondément dans les recoins sombres, comme s’ils pressentaient l’approche d’une présence maléfique. Car ici, dans les bas-fonds de la capitale, la frontière entre le réel et l’imaginaire s’estompe, et les contes de vieilles femmes prennent une dimension menaçante sous le regard de la lune.
La Révélation du Bouge
Le sergent Dubois, un homme massif au visage buriné par les intempéries et les nuits de garde, menait la patrouille. Son pas lourd résonnait sur les pavés, accompagné du cliquetis des hallebardes de ses hommes. La mission, ordonnée par le Prévôt de Paris lui-même, était claire : infiltrer et démanteler un cercle de sorcellerie soupçonné de se réunir dans un bouge sordide du quartier de la Grève. Un informateur, un certain Jean-Baptiste, ancien membre du groupe, avait vendu la mèche, motivé, disait-il, par la peur des forces occultes qu’il avait invoquées.
Dubois serra les dents. Il n’était pas homme à croire aux superstitions. Pour lui, la sorcellerie n’était que le fruit de l’ignorance et de l’hystérie collective. Mais les ordres étaient les ordres, et la rumeur enflait, alimentée par des disparitions inexpliquées et des incidents étranges. Il fallait agir, et vite, pour calmer les esprits et rétablir l’ordre. “Allons, mes hommes,” grogna Dubois, sa voix rauque brisant le silence de la nuit. “Nous approchons du repaire. Soyez vigilants. Pas de quartier pour ces hérétiques!”
Ils débouchèrent sur une cour délabrée, éclairée par une unique lanterne vacillante. Le bouge, une masure sans fenêtre aux murs lépreux, se dressait au fond, une porte massive en bois sombre comme une gueule béante. Des murmures étranges s’en échappaient, des chants gutturaux et des incantations incompréhensibles. Dubois fit signe à ses hommes de se déployer discrètement. Puis, d’un coup de pied brutal, il enfonça la porte.
Le Sabbat Dévoilé
La scène qui s’offrit à leurs yeux était digne des pires cauchemars. Une dizaine de personnes, hommes et femmes, étaient réunies autour d’un autel improvisé, constitué d’une pierre brute recouverte d’un tissu noir. Des bougies de suif répandaient une lumière blafarde, projetant des ombres grotesques sur les murs. Au centre de l’autel, un crâne humain trônait, entouré de grimoires et de fioles remplies de liquides inconnus. Les participants, vêtus de robes sombres et de masques grotesques, psalmodiaient des paroles étranges, leurs corps se balançant dans une transe collective.
Une femme, plus âgée que les autres, se tenait devant l’autel, les bras levés vers le ciel. Son visage, ridé et parcheminé, était illuminé par une lueur fanatique. Elle portait une coiffe ornée de plumes noires et un collier fait d’ossements. “Invoquons les puissances des ténèbres!” cria-t-elle d’une voix rauque et puissante. “Qu’elles nous accordent leur force et leur protection! Qu’elles nous vengent de nos ennemis!”
Dubois, bien que sceptique, ressentit un frisson désagréable en entendant ces paroles. L’atmosphère était lourde, oppressante, chargée d’une énergie palpable. Il donna le signal, et ses hommes se jetèrent sur les participants, les hallebardes pointées. La panique éclata. Les sorciers et sorcières, pris au dépourvu, hurlèrent et se débattirent, essayant de s’échapper. Une lutte acharnée s’ensuivit, dans la fumée des bougies et les vapeurs d’encens.
“Au nom du Roi et de la Justice!” tonna Dubois, maîtrisant avec force la prêtresse. “Vous êtes arrêtés pour sorcellerie et blasphème!” La vieille femme le regarda avec un sourire méprisant. “Vous ne comprenez rien,” siffla-t-elle. “Vous ne pouvez pas arrêter la force de la nature. Elle est plus puissante que votre Roi et vos lois!”
L’Interrogatoire et les Aveux
Les sorciers capturés furent emmenés aux cachots du Châtelet, où ils furent soumis à un interrogatoire serré. Dubois, assisté d’un inquisiteur ecclésiastique, cherchait à comprendre les motivations de ce sabbat et à identifier les complices. Les prisonniers, d’abord réticents, finirent par céder sous la pression, avouant leurs pratiques occultes et leurs alliances diaboliques.
L’inquisiteur, un homme maigre au regard perçant, était particulièrement intéressé par les détails des rituels. Il posait des questions précises sur les ingrédients utilisés, les incantations prononcées et les créatures invoquées. Il semblait posséder une connaissance approfondie des arts occultes, ce qui glaçait le sang des prisonniers.
La prêtresse, malgré son âge avancé, se montra la plus résistante. Elle nia avec véhémence toute allégeance au diable, affirmant que ses pratiques étaient simplement un moyen de communier avec la nature et de guérir les malades. Mais l’inquisiteur ne se laissa pas berner. Il la confronta à des contradictions dans ses propos et la menaça des pires tortures. Finalement, brisée par la peur, elle avoua tout : le pacte avec un démon, les sacrifices d’animaux, les messes noires célébrées dans les bois la nuit.
“Nous cherchions la puissance,” murmura-t-elle, les yeux remplis de larmes. “La puissance pour nous venger de ceux qui nous ont opprimés. La puissance pour changer le monde. Mais nous avons été dupés. Nous avons vendu notre âme au diable pour rien.”
L’Ombre de la Superstition
L’affaire du sabbat de la Grève fit grand bruit dans Paris. Le peuple, déjà en proie à la misère et à la peur, fut terrifié par la révélation de ces pratiques occultes. Les autorités, soucieuses de maintenir l’ordre, ordonnèrent une répression impitoyable. Les sorciers et sorcières furent jugés et condamnés à mort. Certains furent pendus, d’autres brûlés vifs sur la place publique, en signe d’expiation.
Dubois, témoin de ces scènes barbares, ne pouvait s’empêcher de ressentir un malaise. Il avait accompli sa mission, démantelé un cercle de sorcellerie et rétabli l’ordre. Mais il se demandait si la violence et la peur étaient vraiment la meilleure réponse. Il se demandait si la superstition ne risquait pas de causer plus de mal que la sorcellerie elle-même.
Alors que les flammes consumaient les corps des condamnés, il leva les yeux vers la lune. Elle brillait d’un éclat froid et distant, indifférente aux drames qui se déroulaient sur terre. Il se souvint des paroles de la prêtresse : “Vous ne pouvez pas arrêter la force de la nature.” Et il comprit que la peur et la superstition étaient aussi des forces de la nature, des forces obscures et puissantes, capables de déchaîner les pires horreurs.
Des années plus tard, le sergent Dubois, vieilli et fatigué, repensait souvent à cette nuit de sabbat. Il avait vu la peur dans les yeux des sorciers, mais il avait aussi vu la peur dans les yeux du peuple. Et il savait que cette peur, alimentée par les superstitions et les croyances nocturnes, continuerait de hanter les nuits parisiennes, longtemps après que les flammes de l’inquisition se soient éteintes.