Le crépuscule s’étendait sur Versailles comme un linceul de velours pourpre, masquant les dorures et les fontaines sous un voile de mystère. Un parfum suave, entêtant, flottait dans l’air, mélange de roses fanées et d’une amertume insidieuse que seuls les plus sensibles pouvaient déceler. Ce n’était pas la mélancolie habituelle d’une fin de journée, non, c’était une odeur de mort, subtile et rampante, qui s’insinuait dans les allées et les alcôves du palais. Une ombre planait sur la cour, bien plus épaisse que celle projetée par les statues d’Apollon et de Diane, une ombre tissée de secrets, de mensonges, et d’une menace imminente.
Sous les lambris scintillants des galeries, au milieu des courtisans poudrés et des robes bruissantes, se cachait un danger invisible, un poison lent et insidieux qui rongeait la santé et la réputation de certains favoris du Roi Soleil. On chuchotait des noms, des accusations voilées, des rumeurs d’empoisonnements habilement orchestrés. La peur, tel un serpent venimeux, s’était enroulée autour du cœur de Versailles. Et au milieu de ce chaos feutré, un homme, La Reynie, Lieutenant Général de Police, s’efforçait de démêler l’écheveau complexe de cette affaire ténébreuse, une affaire qui menaçait de souiller à jamais l’éclat du règne de Louis XIV.
L’Appel du Roi
La Reynie, homme austère au regard perçant, se tenait dans le cabinet secret du Roi. L’atmosphère y était lourde, chargée de la tension palpable qui émanait de Louis XIV. Le monarque, habituellement si sûr de lui, semblait troublé, presque vulnérable. La Reynie l’avait rarement vu ainsi. “La Reynie,” commença le Roi, sa voix grave résonnant dans la pièce, “Versailles est malade. Un mal invisible, insidieux. Plusieurs de mes courtisans, des personnes de mon entourage, souffrent de maux étranges, persistants. Les médecins sont perplexes. J’ai entendu des murmures… des accusations d’empoisonnement.”
La Reynie acquiesça. “Sire, j’ai également entendu ces rumeurs. Elles sont alarmantes, et je peux vous assurer que mes hommes enquêtent discrètement.”
“Discrètement ne suffit plus, La Reynie! Je veux des résultats. Je veux la vérité, quel qu’en soit le prix. Cette affaire menace la stabilité de mon royaume, la confiance de mon peuple. Trouvez les coupables, La Reynie. Démasquez ces assassins qui se cachent dans l’ombre de Versailles. Je vous en donne l’ordre.” Le Roi se leva, sa stature imposante dominant la pièce. “Je vous donne carte blanche. Utilisez tous les moyens nécessaires. Mais que cette affaire soit résolue, et vite!”
La Reynie s’inclina respectueusement. “Sire, je ne vous décevrai pas.”
Les Premières Pistes
La Reynie quitta le cabinet royal avec une détermination renouvelée. Il savait que l’enquête serait délicate, dangereuse même. Versailles était un nid de vipères, un labyrinthe de secrets et d’intrigues où chacun portait un masque et où la vérité était une denrée rare. Il convoqua ses hommes les plus fiables, des agents discrets et perspicaces, capables de naviguer dans les eaux troubles de la cour sans se faire remarquer.
“Messieurs,” annonça La Reynie, “nous sommes confrontés à une affaire d’empoisonnement à Versailles. Le Roi exige des résultats rapides. Nous devons agir avec prudence et méthode. Interrogez les victimes, leurs proches, leurs ennemis. Rassemblez tous les indices, aussi insignifiants soient-ils. Ne négligez aucune piste.”
Les premières investigations révélèrent des points communs troublants entre les victimes. Elles avaient toutes fréquenté la même société, assistaient aux mêmes réceptions, et avaient, semble-t-il, un ennemi commun: la Marquise de Brinvilliers, une femme réputée pour sa beauté, son esprit vif, et son caractère impitoyable. La rumeur la disait experte en poisons, capable de concocter des mixtures mortelles avec une facilité déconcertante.
La Reynie ordonna une surveillance discrète de la Marquise. Ses agents la suivirent jour et nuit, observant ses moindres faits et gestes. Ils découvrirent qu’elle entretenait des relations suspectes avec un apothicaire louche et qu’elle se livrait à des expériences étranges dans son laboratoire secret. Les preuves s’accumulaient, mais La Reynie restait prudent. Il savait que les apparences pouvaient être trompeuses et qu’il fallait des preuves irréfutables pour accuser une femme de la trempe de la Marquise de Brinvilliers.
Le Mystère de l’Apothicaire
L’apothicaire, un certain Glauber, se révéla être un personnage clé dans cette affaire. C’était un homme taciturne et secret, qui ne parlait à personne de ses affaires. Il fournissait à la Marquise de Brinvilliers des ingrédients rares et exotiques, dont certains étaient notoirement toxiques. La Reynie décida de l’interroger personnellement.
“Monsieur Glauber,” commença La Reynie, sa voix calme mais ferme, “nous savons que vous fournissez des ingrédients à la Marquise de Brinvilliers. Pouvez-vous nous dire à quelles fins elle les utilise?”
L’apothicaire hésita, visiblement mal à l’aise. “Je… je ne sais rien, Monsieur La Reynie. Je ne fais que vendre des produits à mes clients. Je ne suis pas responsable de ce qu’ils en font.”
“Ne jouez pas avec moi, Glauber,” rétorqua La Reynie. “Nous savons que vous lui avez vendu des poisons puissants. Dites-nous la vérité, ou vous en subirez les conséquences.”
Sous la pression de l’interrogatoire, Glauber finit par craquer. Il avoua avoir vendu à la Marquise de Brinvilliers de l’arsenic, de l’antimoine et d’autres substances toxiques. Il prétendit ignorer ses intentions, mais La Reynie ne le crut pas. Il était convaincu que l’apothicaire était complice de la Marquise, et qu’il avait sciemment contribué à ses crimes.
Glauber révéla également que la Marquise avait un complice, un amant nommé Sainte-Croix, un officier de l’armée réputé pour sa bravoure et son intelligence. Sainte-Croix était également un expert en poisons, et il aurait aidé la Marquise à concocter ses mixtures mortelles. La Reynie comprit alors l’ampleur de la conspiration. Il ne s’agissait pas d’un simple acte de vengeance, mais d’un complot complexe et savamment orchestré, visant à éliminer des personnes influentes et à semer le chaos à Versailles.
La Chute de la Marquise
Avec les aveux de Glauber et les preuves accumulées par ses agents, La Reynie avait enfin les éléments nécessaires pour accuser la Marquise de Brinvilliers. Il ordonna son arrestation immédiate. La Marquise fut appréhendée dans son château, alors qu’elle s’apprêtait à fuir le pays. Elle ne résista pas, mais son regard glacial trahissait une haine froide et implacable.
Au cours de son procès, la Marquise nia toutes les accusations. Elle se présenta comme une victime, une femme innocente calomniée par ses ennemis. Mais les preuves étaient accablantes, et les témoignages des témoins ne laissaient aucun doute sur sa culpabilité. Elle fut condamnée à mort pour empoisonnement et conspiration.
L’exécution de la Marquise de Brinvilliers fut un événement public, qui attira une foule immense venue de tous les coins de Paris. La Marquise affronta la mort avec courage et dignité, refusant de révéler les noms de ses complices. Elle fut décapitée sur la place de Grève, sous les yeux horrifiés de la foule. Sa mort mit fin à la vague d’empoisonnements qui avait secoué Versailles, mais elle laissa derrière elle un goût amer et un sentiment de méfiance généralisée.
Sainte-Croix, le complice de la Marquise, mourut peu après, dans des circonstances mystérieuses. On soupçonna qu’il avait été empoisonné, peut-être par l’un de ses anciens complices. L’affaire des poisons continua de hanter Versailles pendant des années, rappelant à tous la fragilité du pouvoir et la noirceur qui pouvait se cacher sous les apparences brillantes de la cour.
La Reynie, quant à lui, fut félicité par le Roi pour son courage et sa perspicacité. Il avait réussi à démasquer les coupables et à rétablir l’ordre à Versailles. Mais il savait que le mal était toujours présent, tapi dans l’ombre, prêt à ressurgir à la moindre occasion. La lutte contre le crime et la corruption était un combat sans fin, un combat qu’il était prêt à mener jusqu’à son dernier souffle.